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Reportage : Anfgou ou la véritable définition de l'enclavement



Au-delà des morts causées par le froid, le problème est plus profond... «Abrid, abrid, abrid (la route, la route, la route)», dira ce vieillard avec un brin de sagesse dans la voix et le mouvement, afin de résumer le malheur d'Anfgou et des douars avoisinants.


En effet, Zayd Ouzdi affirme que les malheurs de ces localités sont la conséquence de l'enclavement de cette région du Moyen Atlas.


Plus que le froid et l'absence d'hôpitaux, le transport représente une véritable psychose pour les habitants. «Si la route existe, la maladie et la faim importent peu», souligne-t-il. Les paroles de Zayd semblent prendre toute leur ampleur en effectuant le périlleux déplacement au départ de Tounfit vers les douars avoisinants.

Pour traverser les 70 kilomètres qui séparent Tounfit d'Anfgou, le principal douar sinistré, un seul et unique moyen de transport existe : le camion. Il passe seulement deux fois par semaine : la veille et le jour du souk hebdomadaire.

Pour cette journée du 11 janvier, Zayd et ses compères d'Anfgou attendent depuis dix heures du matin au centre de Tounfit. Ce n'est qu'à 14 heures que le très attendu véhicule fait son apparition.

D'autres personnes ont déjà pris place. Zayd et ses voisins doivent effectuer le voyage au milieu des bêtes. «Il n'y a aucune différence entre nous et les vaches, les chèvres et les moutons si ce n'est qu'ils ont plus de valeur que nous. A 50 Dhs la tête, leurs transport coûte plus cher que le nôtre», indique M'barek Ouchari de Tirghist (8 km d'Anfgou).

Sur le chemin, il est très difficile d'imaginer plus risqué ou plus fatigant que ce voyage. Chaque mètre de cette route, qui n'est même pas une piste, est un vrai calvaire pour les passagers et une véritable épreuve de force pour le conducteur.

Le danger guette à tout moment, mais il semble le dernier souci des voyageurs. Secousses interminables, virages dangereux, traversées répétitives de cours d'eau et lutte sans merci contre montées, descentes, neige et boues. «Il y a quelques années, le rallye Paris-Dakar passait par cette piste», indique un habitant de la région. En hiver, la route est complètement coupée à cause de la neige. Les habitants doivent patienter parfois plus de trois mois avant de pouvoir atteindre Tounfit ou Imilchil pour s'approvisionner.

«Ceux qui tombent malade peuvent mourir tout simplement», soulignent certains. «Même quand la route n'est pas coupée, il est très difficile de transporter un malade dans un camion. Ceux qui nécessitent une intervention rapide (accouchement difficile ou appendicite) sont imparablement condamnés», ajoute un habitant. Exténués et surtout las, les transportés arrivent à Anfgou vers 21 heures. Le camion, lui, poursuit son chemin.

Ses lumières s'éloignent petit à petit dans l'obscurité de la nuit. Les habitants des autres douars ne sont pas encore arrivés à destination. A Anfgou, comme dans toute la région, la quasi-totalité des habitants vivent de l'agriculture et de l'élevage. Céréales (blé ou orge) en hiver, légumes (pommes de terre ou navet) l'été. «De quoi tenir toute l'année», indiquent-ils. Le cheptel est constitué essentiellement d'ovins et de caprins. Face à la rigueur du climat, très froid en hiver et pendant lequel il est impossible de rester sans chauffage, les habitants se servent du bois de la forêt.

En cette journée ensoleillé, les visages sont plutôt souriants. Les enfants courent dans tous les sens. Les parents insistent que beaucoup d'entre eux sont très malades, mais ils sont incapables de nous les montrer. Et ce n'est pas l'envie qui les en empêche. Seul un enfant nous a été présenté mais sa situation n'est pas si grave.

De toute façon, ce n'est ni le froid ni la misère qui pourraient le tuer, la maison étant bien chauffée et ses frères sont visiblement bien nourris. Décidément, Anfgou semble sortir de sa période de crise. Du moins pour le moment. A Anemzy, comme à Tamalout, la situation est presque identique. Des locaux d'hôpitaux fermés, des enfants qui toussent mais qui courent dans tous les sens, des vieillards sales, en haillons, qui prennent leur dose de soleil et des chefs de famille qui se lamentent.

L'Etat distribue des aides, autant en profiter. Les habitants de cette région avaient déjà manifesté contre l'absence de la route, source de tous leurs malheurs, selon la quasi-totalité d'entre eux.

Deux marches vers Khénifra et Errachidia ont été organisées, mais les autorités locales avaient mis un terme à ces manifestations en promettant la réalisation de la route. Comme dans la plupart des cas, les promesses sont restées sans lendemain. Selon Sghir Hssaïn, le nouveau président de la commune d'Amenzy dont relèvent les douars sinistrés, l'ancien président étant en prison pour émission de chèques en bois, les travaux de construction d'une route de 30 kilomètres ont déjà été entamés entre 1992 et 1994, mais ils ont été arrêtés pour des raisons inconnus. Plus de 30 millions de Dhs ont été alors gaspillés.

A présent, la commune d'Anemzy connaît plusieurs problèmes dont le gel des ressources qui sont essentiellement le cèdre. La dernière recette s'élevait en 2004 à 17 millions de Dhs.

Las des promesses des responsables, de la mauvaise gestion et du gaspillage des ressources de la région, les habitants se sont soulevés, en 2004, en constituant des barrages humains devant les Eaux et Forêts, contre le martelage du cèdre pour la coupe.

Le président actuel, membre des conseils précédents, indique que la commune dispose actuellement d'un excédent budgétaire qui se chiffre à 24 millions de Dhs.

Un excédent qui, avec une bonne gestion, aurait servi à de nombreux projets sociaux à même de développer la région et rehausser le niveau de vie des habitants ou, au pire des cas, limiter leur souffrance.




27 morts depuis décembre, un chiffre exagéré
Même sur place, il est très difficile de s'assurer avec exactitude du nombre réel des morts d'Anfgou. Entre le gouvernement qui affirme que les personnes décédées sont au nombre de onze et le chiffre (27) avancé par les habitants, la section de l'AMDH à Tounfit et le président de la commune d'Anemzy dont relève le douar sinistré, la vérité est difficile à établir.

Interrogé par «Le Matin», le président a, dans un premier temps, affirmé dur comme fer que les morts sont au nombre de 18. Une heure après, imitant la tendance générale des habitants, il a assuré à une chaîne de télévision que le nombre s'élève à 27 ! De son côté, la Gendarmerie Royale est on ne peut plus claire.

Les morts sont au nombre de onze. «J'ai établi ce nombre après avoir visité toutes les habitations du douar, une par une», souligne un élément de ce corps qui affirme également qu'un prélèvement de 17 crachats a été analysé et que les craintes d'une éventuelle épidémie sont complètement écartées.

Même en visitant le cimetière du village, il est pratiquement impossible d'être sûr, les tombes étant toutes presque identiques. Elles ne portent ni date, ni nom des défunts. Notre accompagnateur nous a expliqué que les nouvelles sépultures sont «décorées» avec des plantes encore vertes.

En les comptant, les tombes avec des plantes vertes ne dépassent pas la douzaine. Notre guide a alors ajouté que les enfants sont enterrés dans des trous sans sépultures. Les habitants et l'AMDH ont été également incapables de fournir la liste des défunts.

En essayant de les dénombrer devant notre insistance, certains villageois se sont arrêtés au nombre de quinze, même avec des noms dont la mort date de plus de deux mois. Une chose est pourtant sûre, le dernier décès enregistré à Anfgou date du six janvier.



Et la vie continue...
Pauvreté, maladies et malheur ne sont pas les seules dominantes à Anfgou, comme on pourrait se l'imaginer.
La gaieté est également présente chez ses habitants. Pour cette nuit du 11 au 12 janvier, alors que la guerre des chiffres concernant les «décès mystérieux» dans cette localité fait rage entre ministères, associations et presse, la plupart des chefs de famille du village se sont rassemblés chez la famille Imzil. Et pour cause, régler un différend familial entre les veuves d'un habitant, ex-membre de la commune, et son frère.

Après de nombreux verres de thé bien sucrés, un repas très copieux à l'image de la générosité légendaires des habitants de cette région, place à la joie et au bonheur. Même ceux qui ont perdu des enfants récemment ont pris part à cette soirée festive.

Deux grands poètes populaires locaux, Oulaârbi et Mouha Oulmekki, ont enchanté l'assistance avec des improvisations lyriques.
Leurs joutes verbales ont été longuement applaudies. Pour ces gens simples, fiers et profondément pieux, ce n'est pas la misère qui a tué leurs enfants, mais plutôt la volonté de Dieu.
«Dieu a donné, Dieu a repris», répètent-ils.


Systèmes sanitaire et éducatif défaillants
Les systèmes sanitaire et éducatif sont largement défaillants dans cette région. L'enclavement y est pour beaucoup. La quasi-totalité des écoliers d'Anfgou sont incapables de compter correctement jusqu'à dix ou d'avancer une phrase entière en langue française.

Selon les parents, les longues absences répétitives des instituteurs sont la cause essentielle de cet échec. Pour les instituteurs, les conditions très difficiles et l'absence de moyens de transport sont la cause essentielle de ces absences.

«Imaginez des filles prenant le camion au milieu des bêtes pendant plus de sept heures», essaye de se dédouaner le directeur des écoles d'Anemzy. Côté hôpitaux, la situation n'est pas reluisante non plus. Malgré la présence de locaux hospitaliers dans les douars d'Anemzy, Anfgou et Tamalout, le personnel et les médicaments font défaut.

Seul un infirmier est présent à Anemzy. Selon lui, l'absence de moyens de transport et la difficulté des déplacements limitent son champ d'intervention. Pour les campagnes de vaccination et la distribution des pilules de contraception, des médecins payent parfois de leurs poches le carburant des véhicules empruntés aux autorités locales. «A Anemzy, là où je suis présent en permanence, tous les enfants sont vaccinés sans exception.

Pour ceux des autres douars, les vaccins sont disponibles mais faut-il y arriver pour les leur administrer. L'absence de route est très handicapant», souligne cet infirmier.

Source : Mohamed AKISRA | LE MATIN
17/01/2007

 

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